Je voudrais tout de suite dire que « les pieds sales », d’Edem Awumey est un superbe roman! Il m’a énormément plu. Edem Awumey est originaire du Togo, où il est né en 1975. Il a vécu cinq ans à Paris et vit depuis 2005 au Québec. Pourquoi au Québec ? L’auteur avait entendu parler de « cet autre espace francophone en Amérique » et après son séjour en France il a repris la route pour le découvrir. Il vit dans le vieux Hull, à la frontière du Canada français et anglais, là où selon lui, la question d’identité se pose chaque fois qu’on passe le pont.
Les pieds sales de celui qui erre
L’exil et l’errance sont des thèmes importants dans l’œuvre d’Edem Awumey. « Les pieds sales » raconte l’histoire d’Askia, un jeune homme venu d’Afrique qui erre dans les rues de Paris au volant de son taxi. Il est depuis toujours un errant, ses parents l’étaient avant lui jusqu’à ce que son père disparaisse. Personne ne sait où il se trouve, peut-être est-il allé vers le nord où son cousin travaillait. Askia le cherche sachant qu’il n’y a rien à trouver dans un monde où tout est errance.
La cruauté envers les pieds sales
Ses points de repère sont des immigrants comme lui : des ombres plus que des personnages réels qui apparaissent et disparaissent au cours du roman. Olia, originaire de Bulgarie, où « Tsigane » elle était déjà une étrangère, travaille comme photographe et rencontre Askia par hasard. Elle dit avoir connu son père, Sidi Ben Sylla, l’homme au turban blanc. Elle dit avoir des photos de lui et entraîne Askia dans une recherche infructueuse et tragique. Leur investigation est stoppée par un immeuble en feu. Et Askia ne trouve à la fin qu’un turban blanc tombé sur la chaussée après que l’homme le portant ait été attaqué par des Skinheads, tué et jeté à la Seine.
Les pieds sales comme dans la mythologie grecque
Dans ce monde cruel la recherche d’Askia a quelque chose de mythique. Il est d’ailleurs question de Télémaque, le fils d’Ulysse qui arpentait la Grèce antique, cherchant son père pour le ramener à Ithaque. Ici il n’y a pas de retour possible, pas d’Ithaque, juste des routes et des chemins, juste des refuges imaginaires, des images, des souvenirs souvent confus et une très grande solitude. Tout à coup on apprend qu’Askia n’est pas l’homme qu’on croyait qu’il était au début.
Les pieds sales, un regard lucide et poétique sur notre époque
Que sait-on d’une ombre ? Que sait Askia d’Olia ou de Petite-Guinée qu’il découvre, dans la dernière scène du livre, une scène d’une grande intensité, mort sur une table dans une cave au milieu de photos de son pays? Que sait le lecteur d’Askia, que pouvons-nous comprendre de son destin au-delà de stéréotypes qui s’écroulent d’un chapitre à l’autre? N’en disons pas plus. « Les pieds sales » est un livre qui jette un regard absolument lucide et en même temps très poétique sur notre époque.
En 2009 « Les pieds sales » a été sélectionné pour le prix Goncourt. Editions Boréales, 157 pages
Isabelle McEwen