Adieu Mr Haffmann

Pièce de théâtre Adieu Mr Haffmann
Adieu Mr Haffmann par le Théâtre Jean Renoir © Agnès Tondre

Jusqu’où est-on prêt à aller pour assouvir ses désirs ? Passer des petits arrangements avec l’ennemi ? Régler ses comptes avec l’ami ? Ou bien plutôt l’inverse ?

Mr Haffmann : juif à Paris en 1942

Paris 1942, occupée par les Allemands. Mr Haffmann, patron d’une bijouterie, apprend que le port de l’étoile jaune est désormais obligatoire pour les juifs. Il passe alors un marché avec son employé : en attendant des jours meilleurs, la boutique lui revient. En contrepartie, Mr Haffmann se cachera dans la cave. Mr Haffmann avoue qu’il n’a pas d’autre choix et fait preuve de confiance envers son employé, Pierre, et de sa femme, Isabelle Vigneau. L’employé accepte, mais sous condition. Celui-ci engage son patron dans un petit arrangement inavouable : stérile et en manque d’enfant, il lui demande de faire un enfant à son épouse. Marché conclu entre les deux hommes. Mais, avec le temps, cacher un juif dans sa cave c’est prendre un risque énorme, surtout lorsque l’on a l’ambassadeur allemand à Paris dans sa clientèle et qu’il est source de gros profits.

Petits arrangements avec l’ennemi

Qui doit-on le plus craindre : le nazi ou le juif ? «La peur a changé de visage. Ce n’est plus le nazi mais le juif que je crains.» Doit-on rester caché ou affronter la réalité, le face-à-face ? «Je veux savoir ce qui différencie le regard d’un nazi du vôtre». Les rôles s’inversent, les prises de positions s’affirment et, en même temps, certains des protagonistes s’affaiblissent. «Quand on vieillit, on s’affaiblit».

Tant de fois représentés au théâtre, si souvent caricaturés, le nazi, le juif, la femme au foyer, le patron ou l’employé, aucun d’entre eux ne reste en effet figé dans sa caricature. Ils évoluent au cours de la pièce. Le tout dans des discussions de salon dans lesquelles les non-dits occupent tout l’espace.

Des acteurs servis par une mise en Cène

La troupe du Théâtre Jean Renoir nous émeut cette fois encore. Car les acteurs sont justes. Imen Jourchi, l’épouse conciliante, Patrice Hermann, son mari et employé, Ravi Rege, Mr Haffmann, Hervé Adeline, le nazi, et sa femme, Yasmine Weiss, semblent naturels dans leurs contradictions, leur ambigüité, leur positionnement dans ce moment d’histoire sombre.

On est happé, et, malgré l’enjeu, on sourit, on rit même. La magie du théâtre a encore opéré.

La mise en scène, réalisée par Valérie et Dieter Weidenfeld, propose des changements de rythme particulièrement intéressants. Les très courtes scènes du début se dérobent derrière les videos réalisées par Stephan Gilbert. A la manière d’un hologramme, l’acteur est là, sans y être. Enfin, le temps semble suspendu pendant le dernier acte autour du dîner qui rassemble tous les protagonistes. On ne peut s’empêcher d’y trouver, merci à l’auteur, une allusion subliminale à la Cène, ce dernier repas du Christ avec ses disciples. La question est soulevée : lequel d’entre eux se révèlera Judas ?

Jean-Philippe Daguerre : un auteur reconnu

Adieu Mr Haffmann, est une pièce écrite par Jean-Philippe Daguerre, également acteur et metteur en scène, âgé de 55 ans. Cette pièce est restée à l’affiche à Paris pendant plus de 3 ans et en juillet dernier a été ovationnée au théâtre d’Avignon. L’immense succès de la pièce s’est concrétisé par 4 Molières en 2018; ceux, entre autres, de la meilleure pièce de théâtre privé et du meilleur auteur francophone. «Une pièce originale qui mêle avec délicatesse une tragédie intime à la tension historique »

Avec : Imen Jourchi, Patrice Hermann, Ravi Rege, Yasmine Weiss et Hervé Adeline.
Et le merveilleux tableau de Matisse : la femme assise.

Agnès Tondre

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